mardi 9 juin 2020

Pourquoi je ne suis plus illustrateur jeunesse.

Bonjour, je m’appelle Alexis Logié.
Je suis graphiste
J’ai été publicitaire, directeur artistique dans des magazines féminins, j’ai réalisé la maquette, le « layout » de nombreux journaux et magazines, illustré de nombreux articles dans la presse et j’ai participé à de nombreux livres aussi bien comme directeur artistique, maquettiste, illustrateur pour livres scolaires, ou illustrateur jeunesse, le rôle dont je retire le plus de fierté et de prestige.
Après avoir publié six livres « jeunesse » chez deux éditeurs, je ne suis maintenant plus illustrateur jeunesse, je vais vous expliquer pourquoi, mais commençons par le commencement.

Tout a plutôt bien commencé. Mon premier pas : illustrer un texte de Mohamed Dib, ce qui ne se refuse pas. Cette première expérience est encore plus remarquable car je me vois décerner le Prix Grand Atlas, par les services culturels de France au Maroc, attribué pour la première fois à un illustrateur ! Me voilà donc auteur* !

Après une autre publication, sur un texte de Abdellatif Lâabi, j’ai l’occasion de concrétiser un projet de livre bilingue, d’un format inédit, que je poursuis depuis plusieurs années.


Réalisé sur un texte de Habib Mazini, publié par les éditions MARSAM, Rabat « la colère de P’tit nuage » parait en 2005.
Ce livre a la particularité de s’ouvrir verticalement, ce qui permet la lecture simultanée des textes arabe et français dans le même sens ! Pour que cela fonctionne, je réalise les illustrations, en collage que je photographie moi même, auxquelles je rajoute des éléments infographiques, ET je me charge également de la mise en page, en Arabe et en Français. Mise en page que je referai intégralement chez l’éditeur, pour des questions de compatibilités logicielles.

Une opération que je recommencerai pour trois autres livres, avec des textes de Tayeb El Alj.
(J'ai d'ailleurs publié un making of du dernier ici même)

Le livre est une réussite, à tel point qu’une de mes relations, m’écrit un jour d’Autriche, pour me dire qu’un éditeur Allemand souhaite publier « la colère de P’tit nuage » dans une version Arabe/allemande. Et qu’il souhaite entrer en relation avec auteurs et éditeur.
Youpi ! Mon long travail pour que ce format voit le jour (il a été repris plusieurs fois depuis, y compris dans des Maisons qui me l’avaient refusé précédemment) et va être publié « à l’international ! » Ich freue mich !
Je mets donc M. Trudewind et M. Chraïbi en relation.
Nous sommes en mars 2009. Je pense alors naïvement qu’un éditeur aura à cœur de défendre les intérêts de ses auteurs, et les siens par la même occasion. D’ailleurs j’ai fait rajouter dans notre accord de publication que toute réédition, adaptation ou cession de droit ne serait envisageable qu’à condition d’une négociation avec moi, l’auteur.
J’ai toujours ce document, signé des deux parties.
Puis je n’entends plus parler de cette traduction, le projet comme beaucoup paraît s’être enlisé. Plusieurs de mes courriels, demandant à voir les épreuves, ou au moins un pdf –vu le travail de typo, ça me parait normal– restent sans réponses…

En 2012, je suis invité au salon de littérature jeunesse de Meknès « La Cigogne volubile » qui met cette année là à l’honneur Tomi Ungerer. Ironie suprême quand on sait le soin jaloux à garder le contrôle de son œuvre.

J’y croise en effet M. Chraibi, l’éditeur de « La colère de P’tit nuage » qui m’annonce que tout va bien, que le livre est superbe et qu’il est imprimé, vendu et distribué depuis 3 mois, partout en Europe.

C'est à ce moment là que je cesse d'être "illustrateur jeunesse".
Pourquoi subitement tout arrêter ?
Parce que, en fait,  MARSAM, et nommément M. Chraibi, me raconte benoîtement qu'il a vendu les droits de reproduction de traduction et d’adaptation sans me consulter (l’auteur du texte a pour sa part obtenu que le texte ne soit pas traduit de l'arabe vers… l'arabe) et s’arroge au passage 50% du montant de la vente. Vente d’un montant, donc, de 5000 DH, dont il reste 2500 DH à partager entre les deux auteurs : 1250 DH.
120 €.
Chacun.
Que j’ai à ce jour toujours refusé de percevoir.
Ce n’est pas une rémunération, c’est une aumône.
Une insulte
(de plus il faudrait que je me déplace jusqu'à Rabat pour la percevoir, genre, j'ai que ça à faire).


Vous ne voyez pas l'amélioration ? Faites un effort !

Il faudra encore plusieurs mois avant que je ne découvre, après avoir été moi même chercher (à Rabat) un, un seul et unique exemplaire, que plusieurs modifications ont été apportées.
Le texte n’est plus placé en regard des illustrations en allemand et se trouve décalé par rapport à l’arabe. Il y a des fautes, de ponctuation, dues à une médiocre infographie. Des couleurs ont été modifiées, ainsi que la couverture, qui n’est plus complètement bilingue. Et ma dédicace a disparu…

Une dédicace ? On s'en fout de la dédicace ! De l'arabe ? Pourquoi faire ?
En allemand, il font des phrase à l'envers,
qui commencent par des points et des virgules. Autant le savoir


D’après ce que j’ai pu lire sur internet, le bouquin a d’excellentes critiques. Il a, semble-t-il, été réimprimé (à combien d’exemplaires ?) en 2016 –et peut-être aussi une autre fois ?– alors que j’ai clairement manifesté mon désaccord et ma fureur à MM. Chraibi et Trudewind, une fois même face à face lors d’un de ses passages à Casablanca.

Voilà pourquoi je ne suis plus illustrateur jeunesse. Et voilà aussi pourquoi je n’encourage guère mes étudiants à chercher à le devenir.
La culture et la littérature jeunesse se passent de mes illustrations depuis lors.

Dernier épisode, mai/Juin 2020
Avec le confinement, alors que je suis en train de rédiger ce témoignage, je suis contacté par H. Trudewind afin de régler la question, puisqu’il a désormais le temps de s’y consacrer.

Imaginez, vous retrouver au bout de 10 ans de conflit, face à quelqu’un qui, après avoir exploité votre œuvre sans vous rémunérer, l'avoir modifiée selon des critères inconnus (par un infographiste qui a sans doute été rémunéré, lui) vous somme d’être raisonnable et de bien vouloir régler ça en acceptant un montant que lui même fixe.

Si j’osais, je dirais que ça ressemble à un gars qui après avoir acheté votre voiture à un autre qui vous l’a volé, l’avoir utilisée pendant 10 ans pour du transport, vous demande de bien vouloir accepter la somme modique (30% de 7% du prix public hors taxe et déduit des impôts du ticket de transport) qu’il a lui même fixée, en échange de quoi, il pourra garder la voiture. Et verser un peu plus d’argent (40%) au voleur. Parce que c’est comme ça qu’on a toujours fait.

Et on s’étonne que je m’énerve.

Ah oui, et il conserve les droits d’adaptation, de traduction, et de revente le gars. Sans limite dans le temps ou l’espace. Et sans droit de regard.
Du pur respect.

Il va me falloir batailler, par e-mail pendant encore quelques semaines, fournir l’engagement qui me lie aux éditions Marsam (pour la quatrième fois en dix ans), produire des extraits des lois marocaines, de la convention de Berne sur le droit d’auteur, menacer d’engager une action en justice (moi aussi j’ai le temps) pour que, enfin… après de nombreuses re-rédactions de contrat, après avoir réalisé que la troisième (ou quatrième édition) est fraîchement imprimée, j’obtienne réparation, et encore ! Il ne s'agit en fait que de la rémunération. Le préjudice lié au fait que mon nom figure sur un livre truffé de fautes de typo, alors que c'est une matière que j'enseigne, et tout spécialement la typo bilingue Arabe/Latin, n'est aucunement pris en compte, mais je dois dire que je suis las de toute cette affaire.

Conseil à mes étudiants de typo : évitez de me rendre une composition qui ressemble à celle(s) de droite, dans aucune langue !

L’argent est versé (à peu près 2000€) apparemment, mais je ne sais absolument pas à quoi il correspond en terme de vente puisque les « principes » de H. Trudewind l’empêchent de me communiquer l’état des ventes et les justificatifs avant la signature d’un contrat lui garantissant l’abandon d’éventuelles poursuites…

Voilà toute l’histoire. Je m’étais promis de la publier un jour.
Je souhaite que cela serve d’explication à tous ceux dont j’ai depuis décliné les propositions d’illustrer leurs albums. Je souhaite aussi que cela montre pourquoi on trouve si peu d’artistes qui se lancent dans cette carrière au Maroc.
Tant qu'à faire, autant s'approprier la mise en page aussi.

Et, normalement, si il n’y a pas d’entourloupe cachée quelque part, il n’y aura plus de nouvelle édition, en l’état, de « die Wut der kleinen Wolke », ni en Arabe/allemand, ni en Arabe/français. Il ne sera disponible que jusqu'à l'épuisement des stocks.

*À cette époque, au Maroc, la littérature jeunesse était encore moins développée qu’elle ne l’est aujourd’hui. La rémunération de ce genre de travail était donc pratiquement symbolique, en valeur absolue,  alors même qu’elle semble équitable sur le papier au vu des pratiques internationales (10% du prix de vente public à partager entre les auteurs). La faiblesse des tirages et le prix modique des livres fait qu’en fait la somme n’est guerre mirobolante.
Je me rend assez vite compte que, malgré le prix reçu, aucune promotion n’est réalisée. Je rédige moi même le communiqué de presse, que j’envoie moi même. Ni bandeau, ni affichette, ni sticker, et pas de signature… résultat : aucune répercussion sur les ventes, ni donc sur le revenu modeste que j’en tire…




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